lundi 5 janvier 2015

De l’eau dans le gaz à Vienne


Vous ne connaissez pas Dmitro Vassilovitch Firtach, le magnat ukrainien du gaz, des engrais, du titane, de la banque et des médias (quand c’est en ex-URSS on appelle ça un oligarque, ici ce serait un entrepreneur talentueux ayant de l’entregent) – et quatrième fortune d’Ukraine ? 

Ça peut se comprendre, d’un certain côté il affectionne une certaine discrétion quand il s’agit de s’expliquer sur quelles compagnies il détient réellement, dans quel paradis fiscal elles sont domiciliées, quel mafieux russe lui a mit le pied à l’étrier dans les années 1990 quand il est passé en quelques années d’une petite entreprise d’import-export de boites de conserves entre l’Ouzbékistan et l’Ukraine à un gros business de commerce de gaz, quelle banque lui a prêté une poignée de milliards dans les années 2000 pour s’assurer le monopole de l’achat de gaz à la compagnie russe Gazprom pour l’Ukraine présidée alors par son ami Ianoukovitch (en fuite depuis), faire fortune et diversifier son empire naissant, et quelles sont ses connections avec le pouvoir russe…

Par contre il aime s’afficher comme philanthrope, bienfaiteur des arts, de la culture et de l’éducation, initiateur et financeur d’une chaire d’études ukrainiennes à l’Université de Cambridge, président de la Fédération des Employeurs d’Ukraine, ayant des oreilles à Bruxelles et à Londres où l’on n’hésite pas à lui demander conseil sur la situation de son pays, organisateur de rencontres entre les candidats au dernières élections ukrainiennes, et même dernièrement promoteur de l’indépendance et de la neutralité de l’Ukraine, alors qu’on le connaissait plutôt comme grand défenseur – et bénéficiaire – des intérêts russes... Mais comme il le dit lui-même, il a assez investi en Ukraine pour vouloir que le pays continue à exister !

Dernièrement Dmitro Firtach ne voyage plus entre Moscou, Kiev, Chypre, la Suisse et Londres (entre autres) où il a pourtant bien des affaires en cours. Il est bien malgré lui résident permanent à Vienne, où il a été arrêté au printemps dernier suite à un mandat d’arrêt international lancé par le FBI, portant sur des accusations de corruption à haut niveau pour la construction d’une usine de titane en Inde en 2006. L’affaire qui traînait depuis est ressortie comme par hasard juste avant le référendum en Crimée sur le rattachement à la Russie ! Rassurez-vous, il n’aura passé que quelques jours en prison, d’où il est sorti après avoir versé la caution record de 125 millions d’euros. On a appris récemment par une indiscrétion du FBI que la somme lui a été prêtée par Vassili Anissimov, associé de Boris Rotenberg, millionnaire russe et ami proche de Vladimir Poutine, et président de la Fédération de Judo de Russie (c’est un poste de pouvoir là-bas, Poutine aime bien le judo. Nous on a Douillet). Firtash attend depuis à Vienne que l’instruction de la demande d’extradition soit bouclée – mais cela ne l’empêche pas de continuer les affaires et la politique, et il proclame que de toute façon il aime beaucoup la capitale autrichienne…

Publié dans Siné Mensuel n°38, Janvier 2015