jeudi 3 avril 2014

Colère Bosniaque


On aimerait recevoir des nouvelles des Balkans sans qu’il soit question de troubles, d’émeutes, de corruption mafieuse ou de dérives nationalistes, mais c’est encore raté – cette fois c’est la Bosnie-Herzégovine qui s’y colle. Et là c’est encore plus compliqué que d’habitude…

La naissance du conflit début février a un goût de déjà vu : quelques  entreprises de Tuzla – troisième ville de Bosnie-Herzégovine, située dans le nord du pays – privatisées à la va-vite et en toute obscurité font vite faillite après avoir été pressurisées, et laissent leurs employés sur le carreau. Or rien de pire que d’être au chômage en Bosnie-Herzégovine, où l’omniprésente corruption économique et politique fait que pratiquement le seul moyen d’obtenir un emploi est soit de l’acheter, soit d’être adhérent à un des partis ethno-politiques qui contrôlent le marché du travail – comme le reste du pays. 

De nombreuses villes bosniennes se joignent assez vite aux protestations des chômeurs de Tuzla – l’atmosphère est fiévreuse depuis plusieurs mois – mais après quelques épisodes de violences policières, les choses passent à la vitesse supérieure le 7 février et les manifestants mettent le feu une vingtaine de bâtiments du gouvernement, de l’administration et de partis politiques, entraînant la démission de quelques politiciens et de responsables de la police.  

Si certains conflits apparus ces derniers mois en Bulgarie, en Turquie ou au Brésil laissaient apparaître un certain flou dans les objectifs ou même dans l’identité des protestataires, rien de tel en Bosnie-Herzégovine. Chômeurs, étudiants, retraités et vétérans unis dans la contestation et aujourd’hui organisés en assemblées s’en prennent à un système qui ne fonctionne pas et dont les dérives sont clairement identifiées : malgré la gabegie, le chômage, l’écroulement des services publics et santé et de retraites, une armée de politiciens et bureaucrates vivent grassement sur le pays, avec des salaires dix fois supérieurs aux salaires moyens. 

Car à la libéralisation forcée de l’économie après l’explosion de la Yougoslavie communiste – une des causes majeures des nombreux conflits qui agitent l’Europe de l’Est actuellement – s’ajoutent les séquelles d’une guerre terminée il n’y a pas encore vingt ans. Pas seulement les inévitables peurs et les haines – entretenus par les nationalistes de tous bords –, mais aussi le legs de l’ONU, qui a tenté de neutraliser tout nouveau conflit en mettant en place lors des accords de Dayton un système de gouvernements ethniques – Serbes, Croates et Bosniaques – parallèles, superposés, entrelacés, pléthoriques et impuissants puisque s’annulant les uns les autres (sans parler de l’exclusion de toute autre minorité) ! En 2010, 500 millions d’euros ont été dépensés simplement pour maintenir cette bureaucratie boursouflée.

Au dessus de tout cela plane toujours le Haut Représentant de l’ONU ayant droits de véto sur toute loi votée et de révocation de tout politicien élu – droits qui n’ont plus été utilisés depuis un certain temps il est vrai – dont tout le monde souhaite le départ, tout en le craignant. Sa seule réaction aux troubles des dernières semaines a été d’évoquer la possibilité de faire donner la troupe – celles de l’UE, bien qu’on ne sache pas vraiment lesquelles – et le fait que le Haut Représentant actuel – Valentin Inzko – soit de nationalité autrichienne a eu pour certains comme un retour en bouche de l’annexion de la Bosnie-Herzégovine par l’Empire Austro-Hongrois en 1908, qui allait déboucher sur l’attentat de Sarajevo et la colossale boucherie de 1914-18… 

Publié dans Siné Mensuel n°30, avril 2014