mercredi 10 novembre 2004

Silence


à propos de ViderParis de Nicolas Moulin

Paris vide !

L'œuvre de Nicolas Moulin, un diaporama de 50 photos retouchées par ordinateur, a souvent été reçue comme proposant, à partir d'un univers de science-fiction post-catastrophique, un discours sombre sur un avenir privé de l'humain, où ne subsiste que l'héritage de ses errements. Cela à première vue fait sens à condition que l'on s'en tienne à une science-fiction comprise dans sa tradition française – qui a bien renié l'héritage de Jules Verne plus vivant que jamais dans le cyberpunk anglo-saxon – qui s'attache essentiellement selon un penchant millénaire et dans une nostalgie a priori, à relater la faillite de l'actuel – en l'occurrence la faillite de la modernité. Est-ce donc un tel choc de voir les artères parisiennes tant chantées – auto-célébration ou clichés de chromos hollywoodiens – privées d'usagers, de fonction, mais surtout du cancer sémiologique urbain, panneaux, publicité, mobilier ? Quel vertige en effet dans ces rues désertes et murées de ne plus se voir assener à chaque instant, noyé dans l'habituel bavardage visuel, les injonctions criardes de l'ordre et de la consommation ! Jamais lassé de tenter d'actualiser trivialement le fantasme herméneutique – tout doit avoir un sens ! –, l'homo urbanistus se retrouve dans le Paris vidé de Nicolas Moulin soudain face à lui-même, et en l'occurrence face à un mur de béton.

Retrouvant les gestes des peintres renaissants ivres de lumière et de perspectives, l'artiste a non seulement effacé ces signes aériens qui encombrent l'espace vital même du citadin (les marquages au sol ont résisté au raz-de-marée), mais reconstitué soigneusement, pixel par pixel, ces parois de béton qui rendent la ville aveugle et muette. Mais les rez-de-chaussée murés privant la rue de son interface avec l'espace privé font de la ville un lieu 100% public, qui, l'instant de surprise passé, ne demande qu'à être habité par des post-citadins à la fois plus instinctifs et plus responsables, prêts à redistribuer les valeurs du collectif et de l'individuel, et surtout à réserver le sens pour la nécessité. Il est finalement bien question d'une utopie.

Avec ViderParis, Nicolas Moulin réalise une de ces sales blagues de potache à la moralité zen, une proposition de réduire la ville au silence pour se laisser pénétrer enfin, peut-être d'une essence, mais pourquoi aller si loin…

publié dans Tausend Augen #HS3, Novembre 2004