lundi 6 novembre 2006

Moskau Melnikov


L'exposition Moskau Melnikov présentée par la Wiener Städtische à la Ringturm de Vienne est un prolongement de la rétrospective de Milan de 2000 – en tournée en Europe depuis lors. L'exposition viennoise a le mérite d'être aujourd'hui au diapason du regain d'actualité regardant Konstantin Melnikov, à l'heure où se joue le sort de la fameuse maison moscovite de l'architecte soviétique, construite en 1927.

Suite à une succession troublée, il semble désormais acquis qu'appartenant par legs pour moitié à l'état russe, elle pourra être le siège d'un musée Melnikov permettant notamment enfin l'accès aux archives de l'architecte. Jusqu'au mois de mars dernier, il y avait fort à craindre qu'elle ne subisse le sort réservé par les spéculateurs immobiliers moscovites à l'architecture avant-gardiste ayant survécu à l'ère stalinienne (et qui n'épargne pas l'architecture antérieure d'ailleurs, près de 400 monuments historiques ayant été rasés à Moscou depuis la fin de l'URSS), à savoir la destruction pure et simple pour libérer des terrains à la valeur sans cesse ascendante.

Cette maison est emblématique de l'esthétique de Melnikov : ses deux cylindres verticaux imbriqués l'un dans l'autre et percés de multiples fenêtres hexagonales et d'une façade entièrement vitrée illustrent parfaitement comment l'architecte refuse la confusion entre la pureté géométrique et la simplification idéologique. Au cube, favorisé par les tenants de l'ordre, il préfèrera toujours le cercle et le triangle. La maison est bien documentée, puisque outre plusieurs maquettes – comme pour certains autres projets différentes versions permettent d'apprécier les espaces intérieurs aussi bien que les volumes extérieurs –, une vidéo exclusive comporte une visite guidée par le fils même de Melnikov qui y a vécu toute sa vie et s'est battu pour préserver l'œuvre de son père.

L'exposition ne reprend pas les maquettes de Moscou qui mettaient à Milan en valeur comment les projets de Melnikov, construits ou non, s'inscrivaient dans une pensée urbanistique qui n'a jamais pu se développer, suite à la disgrâce de l'architecte. Si donc le titre de l'exposition n'est pas vraiment approprié, la trentaine de maquettes réalisées par les écoles d'architecture de Stuttgart et de Delft1 – soit la totalité des projets de Melnikov, construits ou non – fait honneur à son travail. Un projet comme celui de la commande d'un garage au-dessus de la Seine – commande passée suite au succès de son pavillon soviétique de l'Exposition Internationale des Arts Décoratifs (1925) – réputé irréalisable, trouve une interprétation en volume saisissante.

Melnikov fut évidemment accusé de formalisme par ses contemporains constructivistes, mais son souci à contre-courant de la forme lui a permis de donner une identité forte à chacun de ses bâtiments, notamment comme c'est le cas pour la série de six clubs d'ouvriers commandés par des corporations industrielles entre 1927 et 1929 – sa plus intense période de construction, qui fait de lui un des architectes de l'époque les plus présents à Moscou.

Ces commandes directes sans appels d'offre ni concours lui permirent de donner libre cours à son inspiration et d'expérimenter à chaque fois aussi bien dans l'expressivité des formes que dans la fonctionnalité – notamment dans une série de propositions pour moduler ses auditoriums grâce à des murs mobiles et des imbrications de volumes – clairement exposés ici grâce aux maquettes ouvertes. Les formes complexes de ces bâtiments s'avéreront difficiles à "staliniser" quand à partir des années 30 un certain nombre d'immeubles constructivistes se verront ajouter des pilastres et percer des fenêtres verticales pour se conformer aux canons de l'architecture néo-classique appelée désormais à exalter un pouvoir autoritaire, et non plus l'avènement de la société du futur.

Mais aussi il aura parfois été plus techniciste que les constructivistes, notamment dans le projet de tour pour le siège moscovite de la Leningradskaia Pravda (1924), avec ses quatre étages censés pivoter autour d'un axe en béton pour donner au bâtiment une géométrie variable. Ici Melnikov, anticipant la faisabilité technique du projet, demandait aux ingénieurs de se mettre au service des architectes pour rendre cette réalisation possible ! Le projet n'ayant existé que sous la forme d'un dessin de façade, il laisse une grande marge d'interprétation aux maquettistes – aussi deux versions différentes sont proposées à la Ringsturm.

Les années 30 auront été celles des grands projets officiels – aucun ne sera réalisé : l'architecture révolutionnaire de Melnikov l'était trop pour le pouvoir stalinien qui ne pouvait, par exemple, pas apprécier son projet pour le Palais des Soviets (1932). La structure de celui-ci, basée sur demi-cônes inversés, oppose celui posé sur sa base – l'ancienne hiérarchie tsariste – à celui se tenant sur la pointe glorifiant un pouvoir des masses sans domination – ce qui n'était pas vraiment la direction qu'avait prise l'URSS. Dommage que la maquette à l'échelle trop réduite ne permette pas d'appréhender le grandiose du projet qu'on rêve de pouvoir contempler en contre-plongée !

La clarté de cette exposition amène à penser qu'outre la qualité intrinsèque de l'architecture de Melnikov et l'inspiration que son œuvre ne peut manquer de générer, il est toujours important de pouvoir réexaminer le legs de l'avant-garde artistique et architecturale du début du XXe siècle, en une période où le modernisme quasi-centenaire a souvent une tendance jeuniste à vouloir encore se targuer de sa nouveauté – ce qui n'est plus ce qu'on peut revendiquer de plus pertinent.

À lire, le catalogue "Konstantin S. Melnikov and the construction of Moscow" publié en 2000 par Mario Fosso, Otakar Mácel et Maurizio Meriggi chez Skira, avec notamment d'intéressantes notes sur les partis pris de reconstitutions des maquettes.

1. La Faculté d'Architecture de l'Université de Technologie de Delft, Pays-Bas, et l'Institut d'Histoire de l'Architecture, Art et Design de l'Université de Stuttgart, Allemagne.

article publié dans L'Architecture d'Aujourd'hui #364, Mai 2006

Aucun commentaire: